Pour une laïcité ouverte à la pluralité des expressions religieuses
 
Jérôme Cottin
 
Les attentats récents perpétués par des fanatiques se réclamant de l’islamisme radical - et pourtant français et ayant grandi sur le sol français – ont fait ressurgir les anciens débats autour de la laïcité en France. Si tout le monde est d’accord pour dire que la France est un État laïc et doit le rester, les divergences sont profondes dans ce que l’on met sous ce mot laïcité. On peut, pour simplifier, retenir deux conceptions différentes de la laïcité.
 
- Pour les uns, la laïcité signifie que les religions doivent rester strictement cantonnées dans l’espace privé et/ou celui qui leur est dédié (les églises, les temples, les synagogues, les mosquées etc.). Aucune expression religieuse ne devrait être admise dans l’espace public, qu’il soit médiatique ou social. La société se doit d’être strictement neutre, les religions doivent être absentes du débat public. Ainsi sommes-nous tous des citoyens, avant d’être des croyants ou des non-croyants ; ces qualificatifs ne regardent que nous et n’ont pas à être connues. Selon cette conception, la laïcité est une fin en soi, un idéal de vie sociale pouvant, seule, créer l’égalité et la concorde entre les citoyens. Moins il y a de religion, plus il y de laïcité, plus il y a de paix sociale. Un intellectuel s’est ainsi exprimé récemment dans le journal Le Monde, expliquant qu’il n’y avait pas 5 millions de musulmans en France, ces personnes étant des citoyens comme les autres, leurs fêtes et rites n’étant en rien religieux mais uniquement de coutumes culturelles et sociales. De même pour lui le catholicisme (= christianisme) ne concerne plus en France qu’un petit groupe de « bigots » appelé à disparaître.
 
- Pour les autres, la laïcité n’est pas une fin en soi mais un moyen. Elle signifie certes que toutes les religions doivent être sur le même pied d’égalité : l’État n’en subventionne ni n’en privilégie aucune. Mais cela n’est pas suffisant pour créer un climat de paix où chacun se sente respecté dans ce qu’il est. La laïcité doit aussi favoriser le dialogue entre les religions et favoriser l’expression religieuse quand elle contribue au bien être social. Sur la base de ce socle commun, il est possible et parfois même souhaitable que les religions soient visibles et présentes dans l’espace public. Cette visibilité sociale des religions peut être nécessaire à leur ritualité (les pèlerinages, les fêtes religieuses), mais aussi au bien de tous (l’exercice de la solidarité, le dialogue interreligieux, l’éducation à l’acceptation de l’autre dans sa différence). Cela signifie que l’Etat peut et doit aider au dialogue entre ces religions, afin qu’elles fassent plus que de simplement cohabiter, mais qu’il s’instaure un double dialogue : entre elles d’une part, entre elles et la société (qui comprend de nombreux incroyants, libres penseurs, agnostiques, athées) d’autre part. L’État, par la neutralité, peut aider à préparer ces dialogues et rencontres intercultuelles et interreligieuses.
 
Si l’on peut saluer les acquis du premier modèle par rapport à la situation antérieure qu’a connue la France (la « guerre des deux Frances » au 19e siècle), il s’avère, en ce début du 21e siècle, insuffisant car il empêche le débat et crée de nombreuses frustrations. Or une parole non exprimée finit tôt ou tard par se venger et risque de se transformer dans des actions et gestes porteurs de violence.
 
Cette laïcité refoulant le religieux ne correspond par ailleurs pas à la réalité sociale. Celle-ci voit au contraire la cohabitation de plusieurs types d’expressions religieuses : l’une radicale, conservatrice, liée à une minorité, mais une minorité agissante et médiatique (pourquoi les médias ne s’intéressent-ils qu’aux excès religieux, et non à ceux qui le sont « normalement » ?) ; l’autre, « modérée », paisible, agissante en profondeur, insérée dans les réseaux humains locaux. Ce sont des millions de femmes et d’hommes qui, au quotidien, prient, agissent, méditent, se réunissent, bref, contribuent à la paix sociale, créent du lien social et de la solidarité entre tous. On ne compte pas, en France, le nombre d’institutions caritatives, éducatives et sociales religieuses, paroisses, au service de tous et surtout des plus démunis et ayant établi de nombreux liens et partenariat avec l’État. Sans elles, le pays se porterait moins bien.
 
Par ailleurs le monde laïc n’a pas encore intégré une distinction fondamentale, (bien) vécue à l’intérieur du christianisme (et sans doute aussi des autres religions) : la distinction entre foi et religion. Si ces deux notions se recouvrent, elles ne sont pas identiques pour autant. Il y a de nombreux croyants qui ne sont pas religieux au sens rituel et institutionnel du terme, de même qu’il y a de nombreuses personnes qui accomplissent des rites religieux sans être croyants ; il faut alors pouvoir prendre en compte cette sensibilité croyante non religieuse ou a-religieuse dans les débats : cela casserait cette opposition trop souvent mise en avant, mais fausse, entre laïcité et religion. De même qu’il n’y a pas qu’une expression laïque, il n’y a pas qu’une expression religieuse, comme il n’y a pas qu’une religion.
 
Penser une laïcité ouverte aux expressions religieuses, c’est d’abord pouvoir penser la pluralité des modèles, chose qu’il est assez difficile de faire en France, où nous raisonnons généralement selon un schéma unitaire et universaliste. La preuve : qui s’intéresse et met en avant les autres modèles laïcs présents en Europe, et qui s’y inspire ? Ils sont pourtant autant pensés, respectueux de la séparation du politique et du religieux (de l’État et des Églises), et ouverts à la pluralité religieuse qu’en France ; autant, et peut-être même plus.
La culture religieuse
 
Christian Krieger, vice-président du Conseil de l’Union
 
L’heure est aux projets de vacances et à ce bien nécessaire ressourcement qu’offre ce temps en rupture avec le rythme habituel. D’aucuns attendent les imminents résultats du baccalauréat ou du brevet avant de remiser pour quelques semaines les questions relatives à l’école et à l’enseignement.
 
Pourtant l’école, et plus particulièrement la question de l’enseignement religieux organisée dans nos trois départements, est actuellement sujette à controverses. En effet, cette disposition particulière léguée par l’histoire de notre région se retrouve aujourd’hui au carrefour d’intérêts ou de volontés contradictoires. La question a regagné en acuité depuis le début de l’année. Les événements qui ont marqué la France interrogent en profondeur la place des religions dans notre pays. Subitement, le grand public a pris conscience du défi que représente pour nos sociétés occidentales l’expression religieuse radicale et la question interreligieuse.
 
Face à ce défi, les uns plaident et œuvrent pour plus de laïcité afin de renforcer la neutralité de l’État et de repousser la supposée “emprise des religions”. D’autres plaident au contraire pour plus de culture religieuse afin de renforcer la connaissance de soi et des autres et développer ainsi un rapport critique à ses propres convictions. Car ce sont l’ignorance et l’inculture qui forment le berceau du radicalisme. Dans “La foi au prix du doute”, un remarquable livre qui demeure d’une grande actualité, Jacques Ellul écrivait « ce n’est pas le fait de la croyance dans une vérité qui la rend intolérante, c’est la fragilité de la croyance qui conduit l’homme éperdu à tenter de combler cette béance de l’être. » Et le sociologue théologien de poursuivre en précisant qu’une croyance fragile s’évertue à exclure toute critique ainsi que toute autre croyance, n’ayant de cesse d’ériger un rempart d’institutions et de dogmes comme des positions avancées à défendre, avant que ne puisse être atteint le cœur de la croyance.
 
Convaincus que la connaissance et l’éducation au dialogue constituent les fondements sur lesquels s’érigent une meilleure compréhension mutuelle, la présidence de l’UEPAL a initié avec l’Archevêché de Strasbourg un travail visant à renforcer l’assise interreligieuse de l’enseignement religieux à l’école et, plus largement, à proposer une éducation au dialogue interreligieux et interculturel dans les collèges et lycées de nos départements.
 
Lors de l’Assemblée de l’Union réunie à Drulingen le 27 juin, le professeur Gérard Siegwalt a pointé l’enjeu de l’accès à la culture religieuse. En effet selon lui, l’inculture religieuse aboutit à « une incapacité des différentes composantes – culturelles et religieuses - de la nation de se nommer, de se reconnaître, de se respecter et ainsi de vivre ensemble dans un voisinage effectif et non dans des cloisonnements les unes par rapport aux autres, préjudiciables pour la cohésion nationale. »(*)
 
Dans cet esprit, mues par l’éthique de l’évangile, les Églises veulent assumer leur responsabilité citoyenne et apporter leur contribution à une bonne compréhension mutuelle. L’esprit de fraternité est aujourd’hui au prix de la connaissance et l’éducation au dialogue.
 
Juillet 2015
Les enjeux - théologique et ecclésial, culturel et sociétal - du dialogue interreligieux dans le contexte de la laïcité française - Gérard Siegwalt - 27 juin 2015
 
Les religions dans la République Française - Gérard Larcher - 27 octobre 2015
 

Contribution quant à la question du droit local des cultes en Alsace-Moselle
 
Le statut local des cultes en Alsace-Moselle et la laïcité
 
Contribution de Christian Albecker, président de l'UEPAL
 
Contribution de Philippe Richert, ancien ministre
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